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Paul Veyne, souvenirs

dimanche 28 décembre 2014, par Guillaume Gros

Au début des années 70, Paul Veyne se lie avec Philippe Ariès [Les archives Philippe Ariès contiennent 5 lettres de Paul Veyne] avec lequel il contribue au volume intitulé Sexualités occidentales. Paul Veyne a également dirigé le premier volume de l’Histoire de la vie privée sous la direction de Georges Duby et Philippe Ariès.


 Historien de l’Antiquité, auteur d’ouvrages importants parmi lesquels, Le Pain et le cirque (Seuil, 1976), La Société romaine (Seuil, 1991), Quand notre monde est devenu chrétien, 312-394 (Seuil), Paul Veyne (1930-2022) est aussi féru d’épistémologie à l’image de son très beau livre Comment on écrit l’histoire (1971). Figure intellectuelle, il a été un intime de Michel Foucault auquel il a consacré plusieurs ouvrages dont Foucault : sa pensée, sa personne (Albin Michel, 2008), un proche du poète René Char et un acteur du courant des Annales. Il est mort le 29 septembre 2022 à Bédoin.

Des souvenirs pour comprendre l’historien

A 84 ans, l’ancien membre de l’École française de Rome puis le professeur à l’université d’Aix-en-Provence et enfin au Collège de France évoque son parcours dans un ouvrage autobiographique intitulé Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas [Albin Michel, 260 p. Cf. couverture]. Davantage que des souvenirs, ce texte est une succession d’évocations de moments clés de son itinéraire personnel y compris familial, professionnel, intellectuel et métaphysique. A ce titre, il est une contribution passionnante à l’ego-histoire tant Paul Veyne montre à quel point ses choix historiographiques sont le fruit d’un cheminement très personnel qui ne doit rien aux aléas d’une carrière institutionnelle : « En outre, involontairement, le sentiment de ma singularité a développé en moi une façon d’être ou de paraître non conformiste, destinée probablement à faire écran, à attirer l’attention du spectateur. Tout au long de mon existence, cela me vaudra, auprès de certains, une réputation d’excentricité. » [p. 45]

De la Provence à la Khâgne

 Compatriote de Cézanne, selon ses propres termes, Veyne est enraciné dans cette Provence charnelle dont sa grand-mère lui a transmis le provençal : « [...] je suis un des derniers humains qui ait pu lire dans le texte la Mireille de Mistral (et en réciter de mémoire quelques strophes harmonieuses) ».

 Issu d’un milieu « presque populaire », Veyne se découvre très tôt une passion pour le latin et Rome avec la lecture initiatique de l’Histoire de Rome d’André Piganiol.
Reçu à l’École normale supérieure en 1951, Il fréquente alors, au début des années cinquante, le groupe communiste autour de Gérard Genette et se lie avec Michel Foucault. De son passage au Parti communiste qu’il présente comme distant et passéiste, entre 1951 et 1956 (chapitre 5), Paul Veyne est surtout influencé par la doctrine philosophique du marxisme qui stimule son appétence pour l’histoire conceptuelle.

De l’École française de Rome à Aix-en-Provence

 Tout juste reçu à l’agrégation de grammaire en 1955, il intègre l’École française de Rome et espère ainsi réaliser le rêve de sa vie, devenir archéologue professionnel. Il arpente, durant deux ans l’Italie où il étudie notamment les bas-reliefs figurés tout en se prenant de passion pour la peinture italienne qui nourrit plusieurs décennies après son Musée imaginaire ou les chefs-d’oeuvre de la peinture italienne (Albin Michel, 2010).

 Après l’Italie, Paul Veyne devient assistant de latin en Sorbonne entre 1957-1961. « Sorbonnard et anticolonialiste » comme le résume le chapitre évoquant cette période. L’historien renonce à sa tour d’ivoire et s’engage dans un réseau de soutien du FLN.

 La fin de la guerre d’Algérie coïncide avec sa nomination comme maître de conférence de latin à la faculté des Lettres d’Aix-en-Provence, la ville où il était né : « Je venais d’avoir trente et un ans et je me trouvais titularisé à vie dans l’enseignement supérieur. »

 Paul Veyne décrit longuement son goût pour la recherche :
« La recherche n’est pas une responsabilité, mais un plaisir : on est un chasseur qui se réveille le matin avec le désir de partir en chasse, de trouver du gibier, une proie, qui finira peut-être dans la Revue des études anciennes. Comment fait-on ? On se rend dans une épaisse forêt sûrement giboyeuse, celle des œuvres morales de Plutarque ou d’un des in-folio des vingt mille inscriptions latines d’Afrique du Nord romaine, et on a ou pas de chance. J’avais publié un certain nombre d’articles sur des sujets divers d’épigraphie ou d’histoire ancienne. » [p. 152-153]

Comment on écrit l’histoire


 Tout épris d’érudition qu’il est Paul Veyne se fait remarquer, en 1961, par Jacques Le Goff avec la publication d’un article intitulé « Vie de Trimalcion » paru dans les Annales, prélude à ses travaux sur le don et l’évergétisme dans l’Antiquité romaine qui l’occupent toute une décennie au cours des années soixante.

 Sur le point de rédiger enfin sa thèse de doctorat, Paul Veyne transforme l’écriture de la préface en un livre autonome et très original Comment on écrit l’histoire. Essai d’épistémologie publié au Seuil, en 1971, par Jacques Julliard et Michel Winock :

« [...] et ce livre, sans que j’y prenne garde, n’était pas autre chose qu’un petit volume de souvenirs : les souvenirs personnels de tout ce que j’avais lu, appris et pensé au cours des dix années d’études où j’avais préparé un gros livre d’histoire, et où j’avais tâché également de m’initier tant bien que mal aux sciences humaines et à la méthodologie de l’histoire. » [p. 183]
Ce premier ouvrage auquel est très attaché Paul Veyne lui vaut un compte rendu de Raymond Aron dans les Annales. Cette distinction est, selon Paul Veyne, à l’origine de son élection au Collège de France, cinq ans plus tard.