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Jacques Le Goff, "La Nouvelle histoire"

samedi 31 décembre 2016, par Guillaume Gros

Jacques Le Goff, "Une science en marche, une science dans l’enfance", La Nouvelle Histoire, Retz-CEPL, 1978. Réédition chez Complexes, 1988.

 Face à l’élargissement des territoires de l’histoire au début des années soixante-dix, les historiens éprouvent le besoin de réfléchir à leurs pratiques et à leurs méthodes dans le sillage tracé par les Annales. Le médiéviste Jacques Le Goff, héritier de Fernand Braudel à l’École des hautes études en sciences sociales, contribue à impulser une dynamique éditoriale.
 Elle démarre notamment en 1974, avec la publication avec Pierre Nora de Faire de l’histoire (titre emprunté à Lucien Febvre et à Michel de Certeau), qui vise à faire connaître les objectifs de l’histoire nouvelle. Face au succès de celle-ci, la revue Magazine Littéraire , lui consacre un dossier spécial, en avril 1977 dont 14 pages à une table ronde rassemblant ses historiens les plus emblématiques, Philippe Ariès, Michel de Certeau, Jacques Le Goff, Emmanuel Le Roy Ladurie et Paul Veyne.
 Enfin, en complément de Faire de l’histoire, Jacques Le Goff, épaulé par Roger Chartier et Jacques Revel, dirige un dictionnaire publié en 1978 : " Il se veut, [...], une nouvelle action, une nouvelle étape pour la défense et l’illustration de l’histoire nouvelle qui est en passe de devenir un des phénomènes importants de la vie scientifique et intellectuelle et de la psychologie collective du second XXe siècle." (J. Le Goff, "Une science en marche, une science dans l’enfance").

Début de l’introduction "Une science en marche, une science dans l’enfance"

« Le “Dictionnaire” présenté ici est d’abord un instrument d’information comme il se doit, mais nous n’avons pas cherché à donner une photographie complète de l’état actuel de la science historique. Notre objectif est de faire connaître à un large public les orientations les plus modernes de l’histoire dont l’importance est devenue telle qu’il y a une "histoire nouvelle" et que, tout en demeurant une science d’avant-garde, elle entraîne visiblement une partie de plus en plus grande de la production historique à sa suite, dans les domaines de la recherche, de l’enseignement, de l’édition. Nous avons décrit ses problèmes et ses incertitudes en même temps que ses conquêtes et nous avons indiqué des voies à suivre. Cet ouvrage est à la fois informatif et engagé.

Pour comprendre la genèse du mouvement qui renouvelle l’histoire depuis quelques décennies — et qui s’est accéléré dans les vingt dernières années —, je suggère au lecteur de lire l’article “L’histoire nouvelle” que j’ai écrit pour ce “Dictionnaire”. Il comprendra mieux, je l’espère, la structure et le contenu de ce courant historique qui bouleverse non seulement le domaine traditionnel de l’histoire, mais aussi celui des nouvelles sciences humaines (ou sociales) et même, sans doute, tout le champ du savoir. Car repenser les événements et les crises en fonction des mouvements lents et profonds de l’histoire, s’intéresser moins aux individualités de premier plan qu’aux hommes, et aux groupes sociaux qui constituent la grande majorité des acteurs moins plastronnants, mais plus effectifs de l’histoire, préférer l’histoire des réalités concrètes — matérielles et mentales — de la vie quotidienne aux faits divers qui accaparent la « une » éphémère des journaux, ce n’est pas seulement obliger l’historien — et son lecteur — à regarder du côté du sociologue, de l’ethnologue, de l’économiste, du psychologue, etc., c’est aussi métamorphoser la mémoire collective des hommes et obliger l’ensemble des sciences et des savoirs à se resituer dans une autre durée, selon une autre conception du monde et de son évolution.

Parmi les conquêtes qu’il reste à l’histoire nouvelle à accomplir, il y a celle de la vulgarisation historique. Cette entreprise est en bonne voie. D’abord parce que, sensibles au rôle de l’histoire dans les préoccupations des hommes d’aujourd’hui, les historiens de l’histoire nouvelle se préoccupent de la faire déborder le champ des spécialistes. L’éclatant et surprenant succès de Montaillou, village occitan d’Emmanuel Le Roy Ladurie en est le signe. Rien d’étonnant à cela car l’histoire nouvelle est aussi capable que l’ancienne d’être communiquée par les canaux pertinents du récit, du style, de la résurrection du passé. L’histoire de l’homme quotidien n’est-elle pas aussi significative et dramatique que celle des grands hommes, le curé de Montaillou n’est-il pas aussi intéressant que Mazarin ou Talleyrand, et ne saisit-on pas mieux, à travers lui, l’histoire vraie, l’histoire profonde des hommes ? L’histoire des façons de s’habiller, de manger, de se vêtir n’est-elle pas aussi séduisante que celle des batailles, des conférences internationales et des péripéties parlementaires ou électorales — écume de l’histoire, comme disait Paul Valéry —, qui ne vaut la peine d’être léguée à la mémoire collective que dans la mesure où elle révèle ou affecte les structures profondes des sociétés et de leur évolution ? L’histoire nouvelle montre que ces "gros événements" ne sont en général que le nuage – trop souvent sanglant – que soulèvent les vrais événements survenus avant eux, c’est-à-dire les mutations profondes de l’histoire. Ce n’est pas la guerre de 1914-1918 qui enfante le XXe siècle, mais cette effervescence antérieure si mal nommée la “Belle Époque”.

Les moyens modernes de communication — les « média », comme on dit —, radio ou télévision, voire bande dessinée, semblent mieux s’ouvrir à cette histoire nouvelle (qu’on songe à la série télévisée “Méditerranée” réalisée sous l’impulsion de Fernand Braudel) que la grande presse. Les revues de vulgarisation historique, où la pseudo-histoire des “énigmes de l’histoire” ou des divagations sur l’espionnage et le contre-espionnage (excellent sujet dans le domaine de la fiction) ou des scandales de la vie privée des “grands” côtoie l’histoire traditionnelle des batailles, de la diplomatie (mais il peut y avoir, il commence à y avoir une histoire nouvelle du phénomène militaire et du phénomène diplomatique), ne sont même pas des organes de l’histoire d’hier ou d’avant-hier, ce sont des objets préhistoriques. Il semble que cette situation soit à la veille de changer [1] . L’histoire nouvelle, qui n’est pas sectaire, mais dont le label ne saurait couvrir n’importe quelle production historique et notamment une histoire traditionnelle mal replâtrée sous des badigeons sociologique, politicologique, économique, psychologique ou autres, devrait y franchir une nécessaire et bénéfique étape. »

Les principaux articles du dictionnaire

 Jacques Le Goff, "L’histoire nouvelle"
 Michel Vovelle, "L’Histoire et la longue durée"
 Krzysztof Pomian, "L’histoire des structures"
 André Burguière, "L’anthropologie historique"
 Philippe Ariès, "L’Histoire des mentalités"
 Jean-Marie Pesez, "Histoire de la culture matérielle"
 Jean Lacouture, "L’histoire immédiate"
 Guy Bois, "Marxisme et histoire nouvelle"
 Jean-Claude Schmitt, "L’histoire des marginaux"
 Evelyne Patlagean, "L’histoire de l’imaginaire"


[1Depuis mai 1978 paraît une excellente revue mensuelle de haute vulgarisation, l’Histoire (publiée par les Éditions Le Seuil – La Recherche) qui, sans être à proprement parler un organe de diffusion de l’histoire nouvelle, lui fait une grande place. Des revue du même genre, surtout dans certains pays européens sont nées. En France, dans le domaine de l’histoire religieuse, on peut signaler : Notre Histoire.