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Philippe Artières, Histoire de l’intime

lundi 30 mai 2022, par Guillaume Gros

Philippe Artières, Histoire de l’intime, Cnrs éditions, collection “À l’œil nu”, 2022. Illustré par Vanessa Vérillon.

L’envahissement progressif du moi

 Selon Philippe Artières, dans l’avant-propos (p. 7-9) l’histoire de l’intimité en Occident « est une histoire longue qui a fait l’objet de nombreuses investigations, enquêtes historiques, anthropologiques ou sociologiques. La notion d’intime est centrale dans la manière dont a été pensé et vécu le rapport des individus entre eux dans nos sociétés. Elle participe en effet étroitement d’une histoire du sujet en Occident ».
 Si l’intime est longtemps resté le domaine des puissants, il commence à se démocratiser au XVIIIe siècle. Selon l’auteur, l’intime est un enjeu politique majeur : « Il est le fruit de la démocratie et l’un de ses symboles visibles - chaque élection, par l’usage de l’isoloir individuel qui soustrait au regard le vote citoyen, le rappelle. Il est en même temps une menace pour le pouvoir en place et la société dominante, qu’il s’agisse du patriarcat bourgeois, du communisme ou encore du capitalisme néo-libéral. L’intime est donc depuis plus de deux siècles dans nos sociétés, un terrain de luttes permanentes ».
 Si écrire l’histoire de l’intime, « c’est très largement écrire un récit au féminin », c’est aussi « relater l’envahissement progressif mais puissant du moi qui l’accompagne : cette notion habite désormais tous les lieux de notre quotidien, que ce soit à l’école, le travail, la maison ou entre amis. »

Philippe Artières et Philippe Ariès

 Historien, directeur de recherche au CNRS (IRIS, EHESS), Philippe Artières travaille sur les archives ordinaires. Il est notamment l’auteur de Vie et mort de Paul Geny (Seuil, 2013), du Dossier sauvage (Verticales, 2019), de Un séminariste assassin (2020), et du Peuple du Larzac (La Découverte, 2021).
 Il inscrit cette histoire de l’intime dans les pas des travaux de P. Ariès sur la mort et bien-sûr sur la vie privée en général. Il a réédité, en 2016, un très beau texte de P. Ariès, Saint-Pierre ou la douceur de vivre, dans la collection “Tirés à part” (Publications de la Sorbonne) qui invite à lire ou relire des textes de sciences sociales publiés au XXe siècle.

Ariès artisan de l’histoire de la vie privée selon P. Artières

Dans une belle mise au point intitulée “La tombe” (cf. visuel ci-contre), Philippe Artières écrit notamment (extraits, p. 25-27) :
« P. Ariès qui a été l’un des grands artisans de l’histoire de la vie privée, a mené une des premières grandes enquêtes sur la mort en occident sur la longue durée. Ariès consacre des pages très denses à l’analyse du décret du 12 juin 1804 qui constitue à ses yeux un tournant dans le rapport que nous entretenons aux morts ; ce texte marque tout à la fois une ré-appropriation par les proches de leurs morts, mais aussi le moment d’invention de nouvelles pratiques intimes.
Ariès remarque que ce décret a souvent été réduit à une interdiction, celle d’enterrer les cadavres dans les églises et dans les villes et à moins de 40 à 45 mètres des limites urbaines, et ce principalement pour des raisons liées à l’hygiène. Or, à bien lire ce texte, on découvre qu’il comprend une interdiction d’une puissance symbolique beaucoup plus importante et dont les conséquences sont tout aussi importantes que l’externalisation des cimetières. Le décret indique que dans les fosses communes (dites « fosses des pauvres »), il est désormais interdit de superposer les cadavres. La loi exige qu’ils soient juxtaposés et distants les uns des autres. Autrement dit, ils doivent être séparés les uns des autres. Ariès y voit l’entrée dans une nouvelle ère, dont nous ne serions pas sortis, qui est celle du culte des morts. Sortir les cimetières des villes permet donc aussi que chacun puisse avoir sa sépulture, dans un lieu nouveau, beaucoup plus étendu. De là, la transformation du cimetière en un grand jardin où l’on vient visiter les morts. […] »

Sommaire de l’ouvrage

Chez soi,
 La tombe
En famille,
 La chambre conjugale
La bonne éducation
 Le journal intime
Un corps à soi
 Les cheveux
Maladives intimités,
 Le tatouage
Exhibitions,
 Le clitoris
Libérer l’intime
 Les petites annonces
« Big brother is watching you »,
 Le smarthphone
Conclusion
 L’intime est mort, vive l’intime !