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Autour de Philippe Ariès, Cahier d’histoire immédiate

Publication des actes de la Journée d’études de 2009, Toulouse

jeudi 10 novembre 2011, par Guillaume Gros


 Les actes de la Journée d’études « Autour de Philippe Ariès » (Toulouse, 2009) sont le fruit d’une collaboration au sein de FRAMESPA (Toulouse Le Mirail) entre l’équipe 5 (« Lien social ») et l’équipe 10 (Groupe de recherche en histoire immédiate), à l’initiative de Sylvie Mouysset, de Jean François Soulet et de Guillaume Gros. Ils sont publiés dans la revue Cahier d’histoire immédiate du printemps 2011.
Entre mémoire, amitiés, et interrogations scientifiques, ce volume est l’occasion de redécouvrir l’itinéraire d’un historien pionnier des mentalités – aux côtés de Michel Vovelle, de Georges Duby, d’Emmanuel Le Roy Ladurie - de renommée internationale grâce au rayonnement de ses ouvrages sur la démographie, l’enfant, la mort et la vie privée.

Orest Ranum, "Souvenirs de la vie quotidienne avec un anarchiste pieux"

Philippe Ariès n’aurait probablement pas eu le succès qu’il a connu en France sans sa fulgurante reconnaissance aux Etats-Unis, dès 1963, avec la traduction de l’ Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime . Perçu comme un héritier de Marc Bloch et de Lucien Febvre, l’historien y trouve de solides appuis notamment auprès du professeur Orest Ranum. Celui-ci lui permet mettre en forme ses recherches sur la mort lors d’un cycle de conférences qui se concrétise par une publication, Western Attitudes toward Death (1974) aux éditions John Hopkins University. Cette rencontre est à l’origine d’une belle amitié entre les deux historiens qu’évoque pour la première fois Orest Ranum.

Extrait de la contribution d’Orest Ranum :

« Il prétendait ne pas apprécier le Metropolitan Museum of Art de New York, ni la National Gallery de Washington, parce qu’il n’y avait pas de mauvais tableaux. Il n’acceptait pas l’hypothèse qu’un grand Poussin incarnait plus profondément la culture qu’une croute. Pour lui, les collections constituées pour l’étude (celle de Bode à Berlin, par exemple, ou celle de Philadelphie, où se trouvent beaucoup d’œuvres anonymes) étaient préférables par leurs iconographies incertaines, non-intellectuelles. Le regard d’Ariès a permis des analyses à mi-chemin entre le non-conscient historicisé et le conscient. Prenons à titre d’exemple la dernière photo de son livre d’images devant la mort : la domestique d’Ingmar Bergman qui tient en ses bras sa jeune maîtresse morte et lui donne le sein — cette image primordiale et humaine évoque certaines images de la Pietà. Non-conscient, et pas sous-conscient : pour Ariès le sous-conscient était le domaine de la psycho-analyse, une discipline qui ne l’intéressait guère. Là où Braudel avait proposé une historiographie axée sur la routine, Ariès insistait sur le non-conscient. Au fait, les deux approches se touchent et sont assez complémentaires ».

Philippe Ariès, Comment devient-on historien ?

Aux Etats-Unis, Philippe Ariès déploya ses remarquables talents de conférenciers comme nous en donne un aperçu de la retranscription du texte de l’une de ses interventions, texte inédit reproduit dans le dossier sous le titre « Comment devient-on historien ? ». Dans la lignée du Temps de l’histoire, essai d’ego histoire avant l’heure, Philippe Ariès qui ne conçoit l’histoire que comme une vocation et une passion, analyse les conditions dans lesquelles est apparue l’histoire des Annales et des mentalités.

Extrait de la conférence de Philippe Ariès.

« Ma rencontre avec les Annales a eu pour moi de grandes conséquences, comme d’ailleurs pour les historiens de ma génération, mais de manière différente. Je vous ai parlé de la tension que je sentais confusément entre les deux parties de mon héritage : la partie traditionnelle historique et la partie moderne politique. Je n’arrivais pas à les séparer et j’en souffrais. L’histoire – cette nouvelle histoire – m’a libéré de cette tension et m’a permis de retrouver librement mes origines. Elle m’a aidé à trouver un niveau non politique de compréhension de l’homme en société. »

Guillaume Gros, "Culture politique et vocation d’historien chez P. Ariès"

Guillaume Gros approfondit ce lien original entre « culture politique et vocation d’historien » et cette rencontre improbable d’un homme porteur d’une culture traditionaliste avec une histoire des Annales. Sans renier sa culture politique, elle lui permet d’échapper à l’histoire très politisée de sa jeunesse. C’est au cœur de l’Occupation, coupé de tout, que la démographie lui ouvre la voie des conduites secrètes qui échappent au contrôle des pouvoirs institutionnels, bref ce qui va devenir l’histoire des mentalités.

Extrait de la contribution de Guillaume Gros

"A peine Les Traditions sociales dans les pays de France achevées en 1943, Philippe Ariès se plonge de façon quasi monacale dans son Histoire des populations françaises quasiment rédigée fin 1945, montrant l’unité et l’importance de cette période de l’Occupation dans la formation intellectuelle de l’historien et donc dans celle du précurseur qu’il devint pour l’histoire des mentalités aux côtés d’un Lucien Febvre avec lequel il n’a pourtant aucun contact. Philippe Ariès opère un glissement du « pays » vers les populations car, au cours de l’Occupation, une idée très forte s’est imposée à lui, la démographie, pour laquelle, écrit-il, il eut un « coup de foudre » : « La population était comme la région, un thème à la mode. Nous arrivions au creux d’une période séculaire de dénatalité que la Révolution nationale rendait en partie responsable de la défaite. » (Un historien du dimanche).

Jacques Ariès, "Une relecture familiale du 1er chapitre d’Un Historien du dimanche"

Neveu de l’historien, Jacques Ariès, s’interroge aussi sur la culture politique de Philippe Ariès. Il propose une relecture passionnante des chapitres autobiographiques d’Un Historien du dimanche (1981) en les comparant avec des extraits d’un document de premier plan à savoir les « Mémoires » d’Emile Ariès, le père de Philippe, écrits entre 1964 et 1970. Ce texte manuscrit dont il existe deux versions est conservé par Jacques Ariès. Ces extraits sont mis en relation, par Jacques Ariès, avec des documents iconographiques sur l’univers familial de l’historien. L’ensemble constitue un corpus documentaire essentiel qui vient désormais compléter le récit d’Un Historien du dimanche.

Jean-Claude Sangoi, "Philippe Ariès et la démographie historique"

L’historien Jean-Claude Sangoï revient sur les voies nouvelles ouvertes par Philippe Ariès dans le domaine de la démographie à la suite de sa magistrale Histoire des populations françaises et de leurs attitudes devant la vie depuis le 18e siècle, publiée en 1948. Tout en montrant comment la révolution contraceptive est à l’origine d’un « nouvel univers mental », Jean-Claude Sangoï situe l’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien régime dans ce débat en insistant sur la vision de l’enfant qu’il propose : l’enfant a désormais un statut à part dans la société. La famille malthusienne s’organise en fonction de sa réussite sociale.

Un extrait de la contribution de Jean-Claude Sangoï

« Philippe Ariès a pris une autre voie et apporté une autre dimension à la recherche en démographie historique . Il s’interroge sur l’histoire des mentalités , l’histoire des sentiments et, au final, l’histoire de la famille. Louis Henry et Pierre Goubert font des gens ordinaires des objets d’histoire alors que Philippe Ariès fait de l’individu un objet d’histoire en incluant dans sa recherche des questions subjectives. Le qualitatif prend le relais et supplante le quantitatif, ce qui permet à la démographie historique de rebondir quand, dans les années 1970, arrivent les premières critiques sur la représentativité des échantillons étudiés et les prémisses de la « micro-histoire ». »

Charles Daney, "Philippe Ariès face à l’enfance et à ses déviances"

Géographe, écrivain, Charles Daney a connu Philippe Ariès dans les années soixante. Il fit d’ailleurs participer, en 1981, l’historien à l’ouvrage collectif, Catastrophe à la Martinique, (Herscher, « Les archives de la société de géographie ») qui est l’occasion pour lui d’évoquer un souvenir familial, « Saint-Pierre ou la douceur de vivre ? » qui lui tenait particulièrement à cœur et qui a été repris dans Essais de mémoire, 1943-1983 (1993). Charles Daney, dans son témoignage, fait l’exégèse d’un des derniers projets de Philippe Ariès, sur « l’enfant et la délinquance de Louis XIV à nos jours », un projet inachevé à cause de la maladie. A partir d’ouvrages de la bibliothèque de l’historien, il évoque les orientations bibliographiques de ce projet autour des acteurs de la socialisation de l’enfant.

Un extrait de la communication de Charles Daney

« L’idée de cette dernière volonté de recherche venait de loin. Il y a dans son livre sur l’enfant et la vie familiale sous l’ancien régime (Plon, 1960) des pages prémonitoires qui nous paraissent, à posteriori, comme une base de départ pour des réflexions à venir. Est-ce à dire que ce livre est obsolète ? Sûrement pas puisqu’il s’inscrit dans des limites de dates bien précises. Il espérait travailler dans l’évolution, à plus long terme, des comportements. Philippe Ariès retrouvait avec son dernier sujet le temps merveilleux de la recherche (la vue d’ensemble, quand la brume n’a pas fini de se déchirer). La grande question de son livre était de savoir qui transmet les valeurs et plus généralement qui dirige la « socialisation » de l’enfant et de l’adolescent : la famille, l’école, les moyens modernes d’information ? Ces valeurs sont-elles acceptées, rejetées en bloc ? C’est là, probablement qu’est la clé de l’apprentissage à l’âge d’homme. »

Jacques Ariès, "Les référents intellectuels de la loi Léonetti"

Enfin, ultime prolongement de ses recherches sur les attitudes devant la vie, en germe dans son Histoire des populations, Philippe Ariès a exploré les attitudes face à la mort, notamment dans son grand livre L’Homme devant la mort (1977). Celui-ci, comme d’ailleurs l’Enfant et la vie familiale a été utilisé dans de très nombreux domaines souvent très éloignés de l’histoire y compris par les acteurs de la société. Avec son regard de médecin réanimateur et d’enseignant dans un diplôme universitaire de soins palliatifs, Jacques Ariès s’intéresse à la réception des thèses de l’historien de la mort. Après la canicule, de 2003 et après l’histoire de Vincent Humbert, le législateur a mis en place une mission parlementaire d’information sur l’accompagnement de la fin de vie. Abordant l’ensemble des problèmes posés par la fin de vie, les travaux de cette commission ont abouti à une loi en 2005 et à des décrets d’application en 2007.

Un extrait de la contribution de Jacques Ariès

« In fine, pourquoi, plus de vingt ans après leur mort, Louis-Vincent Thomas et Philippe Ariès restent-ils des « références » dans un milieu non historien ?
On peut proposer deux hypothèses. La première est qu’ils étudient la mort sur une longue période, sans tenir compte des découpages académiques. La seconde est qu’ils ont trouvé des concepts qui parlent aux hommes de notre temps comme le déni de la mort, la mort de moi, la mort de toi, même si chacun n’interprète pas ces concepts de la même façon. »