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Newsletter, n° 5, MICHEL FOUCAULT

jeudi 27 février 2014, par Guillaume Gros

Site dédié à Philippe Ariès, Newsletter, n° 5, hiver-printemps 2014.

« Philippe Ariès et Michel Foucault : regards croisés »

 Michel Foucault, penseur à l’œuvre multiforme, a influencé les historiens sur le plan du choix des thèmes et de l’écriture. Lui-même a utilisé les outils des historiens. Cependant, comme le résume Arlette Farge, en 1992, dans un article de l’Histoire, les relations entre Foucault et les historiens reposent sur un malentendu.
Alors que l’accueil avait été plutôt favorable à la sortie de Folie et déraison. Histoire de la folie à l’âge classique (1961), les relations se compliquent avec la parution de Surveiller et punir, en 1975. Selon Arlette Farge le malentendu est le suivant : « (…) l’historien pour apprécier que le philosophe intervienne en sa discipline, souhaite qu’il emprunte les mêmes voies que lui et que sa tâche primordiale soit la description du social. » Or, Michel Foucault, en philosophe, préfère « comprendre par quels systèmes de pensée s’organisent des pratiques institutionnelles » [L’histoire, avril 1992, p. 76].

La publication par Ariès de Folie et déraison

 Cette incompréhension ne fut pas de mise dans le cas de la relation entre Philippe Ariès et le philosophe qui raconte en 1984, dans Le Matin de Paris, quel lien profond l’unit à l’historien alors peu connu qui dirige chez Plon, la collection « Civilisations d’hier et d’aujourd’hui » :

« J’avais à l’époque fini l’ Histoire de la folie , que personne ne voulait éditer. Sur les conseils d’un ami, j’ai donc apporté mon manuscrit chez Plon. Pas de réponse. Au bout de quelques mois, je suis allé le rechercher. On m’a fait comprendre que, pour pouvoir me le rendre, il allait d’abord falloir le retrouver. Et puis, un jour, on l’a retrouvé dans un tiroir, et on s’est même aperçu que c’était un livre d’histoire. On l’a fait lire à Ariès. C’est ainsi que j’ai fait sa connaissance. » Cette publication inaugure une proximité intellectuelle dans le choix de certaines démarches et de certains thèmes.

Un modèle interprétatif de l’enfance

 Dans les années soixante dix s’opère un rapprochement entre L’enfant et la vie familiale et les analyses du philosophe Michel Foucault autour de l’idée d’une modernité qui serait le lieu d’une « mise à part », d’une quarantaine des enfants. C’est la thèse que développe Philippe Ariès dans sa préface, en 1973, à la réédition de son livre sur l’enfant : « Cette quarantaine, c’est l’école, le collège. Commence alors un long processus d’enfermement des enfants (comme des fous, des pauvres et des prostituées) qui ne cessera plus de s’étendre jusqu’à nos jours et qu’on appelle la scolarisation. » Cette lecture alimente un modèle interprétatif de l’enfance que nous avons étudié dans la revue Histoire de l’éducation.

Michel Foucault « Le souci de la vérité », 17 février 1984

 Dans un hommage publié dans le Nouvel observateur, Michel Foucault, rappelle sa dette vis à vis de Philippe Ariès revenant sur son projet historique qui nourrit son « histoire des mentalités », et l’intérêt de l’historien pour les conduites qui concernent la vie : « Naître, grandir, mourir, être malade : choses si simples et si constantes en apparence. Mais les hommes ont développé à leur égard des attitudes complexes et changeantes qui ne modifient pas seulement le sens qu’on leur donne, mais aussi parfois les conséquences qu’elles peuvent avoir. Ariès a imaginé de faire l’analyse de ces figures complexes qui donnent forme, dans la culture humaine, à l’élémentaire de la vie. »

La connaissance de soi, l’intimité, le retrait en soi

 Dialoguant avec Arlette Farge, juste après la mort de Philippe Ariès, Michel Foucault s’efforce de situer dans le contexte intellectuel des années soixante et soixante dix, l’œuvre de l’historien qui pratique une histoire des sensibilités. Tandis qu’Arlette Farge estime qu’Ariès, vers la fin de sa vie tend à rejoindre des problématiques sur la « connaissance de soi, l’intimité, le retrait en soi », Michel Foucault considère en effet, qu’avec des points de départ différents, il s’est retrouvé avec Ariès sur « une frontière commune » : « En cherchant chez les philosophes de l’Antiquité la première formulation d’une certaine éthique sexuelle, j’ai été frappé de l’importance de ce que l’on pouvait appeler les pratiques de soi, l’attention à soi-même, la mise en forme du rapport à soi. » » ["Le Style de l’histoire", Le Matin de Paris, 1984].

Michel Foucault par Philippe Ariès

 L’estime est réciproque entre l’historien et le philosophe. Dans un chapitre du livre manifeste, La Nouvelle histoire (1978) coordonné par Jacques Le Goff où il évoque l’histoire des mentalités, Philippe Ariès propose en creux un portrait de Michel Foucault dans une partie intitulée la « démographie révèle les mentalités ». Décrivant ce philosophe qui « est allé de la philosophie à l’histoire sans passer par le purgatoire de la psychologie ou d’autres sciences humaines », Philippe Ariès écrit : « Il a voulu, au contraire, que son oeuvre fût une histoire, l’histoire des pouvoirs modernes au moment où ils se mêlent aux savoirs, depuis la fin du XVIIe siècle où ils pénètrent la société, comme le sang irrigue le corps. »

À propos de La Volonté de savoir

 De son approche de la démographie et des attitudes de l’homme devant la vie et la mort, Philippe Ariès s’est interrogé, dès son Histoire des populations françaises en 1948, sur les relations de l’homme avec son corps et les pratiques contraceptives. A l’occasion d’une digression autour de La Volonté de savoir de Michel Foucault, en 1977, il investit le terrain de la sexualité comme révélateur des mentalités : « Au cours de recherches sur les attitudes devant la mort, j’ai moi aussi rencontré le problème de la répression sexuelle au XIXe siècle. En effet une théorie de la mort, pour expliquer son évacuation hors de la société contemporaine, avait été construite sur le modèle, classique et encore incontesté, de l’interdit victorien du sexe. »

Sexualités occidentales

 A la fin de sa vie, alors qu’il a été élu à l’EHESS (1978-1982), Philippe Ariès consacre son programme d’enseignement autour de trois axes dont l’un est centré sur le thème « Famille et sexualité ». Il nourrit la problématique d’un numéro de la revue Communication, contribution à l’histoire et à la sociologie de la sexualité auquel participe aussi Michel Foucault. Ce numéro de Communication est publié sous le titre Sexualités occidentales (1984).

Paul Veyne, Foucault, Sa pensée, sa personne

 Parmi les quelques historiens comme Philippe Ariès ou Arlette Farge qui ont cheminé avec Michel Foucault on peut citer Paul Veyne. Dans l’essai qu’il consacre au philosophe en 2008 chez Albin Michel, Paul Veyne revient sur ce rendez vous manqué du philosophe avec les historiens. Dans le chapitre « Il n’est d’a priori qu’historique » où Paul Veyne déplore le corporatisme des historiens trop « occupés à écrire leur histoire à leur manière » [p. 42], il souligne toutefois l’intérêt d’une partie des historiens pour une œuvre originale :
« En fait, Foucault n’était pas aussi marginalisé qu’il voulait le croire et sa façon d’écrire l’histoire était sympathique à ceux qui se réclamaient de ce qu’on appelait l’histoire des mentalités ; il était plus proche de l’historien Philippe Ariès que des Annales ; Michelle Perrot, Arlette Farge, Georges Duby appréciaient ses livres. » [p. 40]

Varia. François Hartog, Croire en l’histoire (2013)

 Face à l’accélération de l’histoire, à l’instantanéité et le simultané du flux continu d’informations qui circulent notamment sur internet, « l’historien peut-il, lui aussi, “faire de l’histoire en direct”, toujours plus vite, et donner immédiatement le point de vue de la postérité en tweet ? ». Telle est l’une des questions qui parcourt l’essai de François Hartog intitulé Croire en l’histoire dans lequel, plus largement, l’auteur s’efforce d’analyser les conséquences des injonctions du présent dans le travail de l’historien aussi bien sur son statut que sur sa façon d’écrire l’histoire.

Guillaume GROS

Responsable du site dédié à Philippe Ariès,

Chercheur FRAMESPA, Toulouse 2,

Pour citer cette Newsletter : « G. Gros, Newsletter, 5, “Michel Foucault, Philippe Ariès : regards croisés”, Site dédié à Philippe Ariès, http://philippe-aries.histoweb.net, hiver-printemps 2014 ».