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Marie-Odile Métral, "Le mariage", 1977

Préface de Philippe Ariès

lundi 10 juin 2019, par Guillaume Gros

Marie-Odile Métral, Le mariage. Les hésitations de l’Occident, préface de Philippe Ariès, Aubier, coll. « Présence et pensée », 1977, 314 p.

Présentation par l’éditeur

« Dans l’interrogation actuelle sur la sexualité et sur le mariage, cet ouvrage, à la lisière de l’histoire et de la littérature, apporte un éclairage singulier.
Au commencement étaient les Pères de l’Eglise ; pour eux, hors de la virginité point n’était de salut : le mariage, qui risquait d’accoutumer aux voluptés, ce « pus » de l’âme, n’était toléré que pour la procréation et l’éducation des enfants. Si l’érotique des troubadours apporte une première libération, bien vite cette tentative de dissidence sera récupérée par le christianisme. Exercé par les hommes, le pouvoir ecclésial doit se défendre contre le couple, inventé par la femme. Récupération efficace : au XIXe siècle la femme, potiche ou bonniche, ne sera plus que le miroir des nouveaux rapports de production.
Et maintenant ? Le mariage a-t-il encore un sens, en ces temps où la gérance encore neuve de la famille par le couple se trouve suspecte et récusée par d’autres pratiques de type communautaire, en ces temps où des femmes enfin se lèvent, non pour s’égaler aux hommes en les imitant, mais pour se dire singulières, fortes de l’épreuve originale de leur corps, dans une parole et un texte inventés hors la règle ?
C’est dans cette perspective que se situent les analyses historiques et les questions incessantes, impertinentes parfois, d’un livre qui veut découvrir l’enjeu des institutions du mariage à l’âge chrétien. Autre histoire que celle qui fut confisquée si longtemps par les théologiens. Autre histoire que celle des historiens. Elle permet de comprendre le sens caché et paradoxal de la récente alliance du mariage et du couple, alors que déjà ce couple subit la déconstruction d’un discours critique et d’une contestation sans doute créatrice. »

Préface de P. Ariès : extraits.

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« C’est que Marie-Odile Métral est philosophe et son regard de philosophe nous apporte une vision neuve. Sans doute l’histoire telle que nous la concevons aujourd’hui est celle des sentiments et des idées communes, qui paraissent étrangers au monde des philosophes et des litterati. Toutefois, nous savons aussi que dans une société " métissée ", selon le mot de F. Furet et de J. Ozouf, faite à la fois d’oralité et d’écriture, les conceptions de l’élite finissent presque toujours, à la longue, par pénétrer les couches populaires et par caractériser la culture globale. D’où l’utilité d’une démarche philosophique pour éclairer les contacts cachés entre l’écriture et l’oralité : questions de la virginité et de ses diverses significations, des rapports entre le couple, l’amour, le mariage monogamique et indissoluble, entre la réserve conjugale et l’érotisme. Questions des jeux entremêlés du désir et du pouvoir. Relations entre l’histoire du couple et les deux traditions, chrétienne et courtoise, si théoriquement différentes, et que l’histoire amalgamera sans beaucoup de difficultés. Autant d’interprétations du philosophe précieuses pour l’historien et, d’une manière plus générale, pour l’observateur quelconque des sociétés d’aujourd’hui, et donc nécessairement d’hier.
A vrai dire, toute une partie de ce livre, celle qui m’a le plus intéressé avec l’étude de l’amour courtois, n’a aujourd’hui rien de révolutionnaire : c’est la critique de l’attitude de l’Église, depuis son origine, devant la sexualité, sa méfiance générale, ses préférences pour l’état de virginité, sa mise en tutelle du mariage... Cette critique surprendra peut-être quelques lecteurs mal avertis et un peu attardés, elle appartient pourtant à la nouvelle orthodoxie catholique ; celle-ci y dénonce l’un des éléments de la grande déviation de chrétienté depuis Constantin au moins, dont l’Église commence juste maintenant à se dégager.
L’Église est ou bien accusée d’avoir donné sa caution à la perpétuation du mariage gallo-romain (opinion ecclésiastique), ou bien d’avoir aggravé les inconvénients de la monogamie par l’indissolubilité (thèse permissive). Marie-Odile Métral, qui veut sortir de l’alternative divorce-indissolubilité, préfère commenter l’opposition entre virginité et mariage. C’est tout de même bien la faute de l’Église si nous en sommes arrivés aujourd’hui à si peu d’amour et d’érotisme dans le mariage ! C’est qu’on a aujourd’hui tendance, non seulement chez les antichrétiens, mais chez les chrétiens hostiles à la tradition dite de chrétienté, à surévaluer l’influence de l’Église sur les mœurs. En réalité, avant le XIIe siècle au moins, l’Église n’avait ni pouvoir ni information suffisants sur les communautés rurales, et c’est pourtant dans ces communautés que le mariage romain à répudiation est devenu indissoluble, même après la mort d’un conjoint. C’est la communauté qui disait le mariage, contrôlait les relations de parenté, faisait la police sexuelle (charivaris). Le mariage était soit un acte privé fait en public, soit un état de fait, sanctionné par une ou plusieurs cérémonies ou fêtes que la communauté reconnaissait. »
(p. 10-11)
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