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Arlette Farge, Délinquance et criminalité (1974)

dimanche 28 février 2021, par Guillaume Gros

Arlette Farge, Le vol d’aliments à Paris au XVIIIe siècle : délinquance et criminalité, Plon, collection « Civilisations et mentalités », 1974, 254 p.

Extrait du compte rendu d’A. Zysberg

« A la lisière de la société comme à celle du “monde criminel”, le voleur d’aliments est un personnage ambigu, une figure qui dérange et inquiète ; son geste (le vol d’un panier de cerises ou de trois brioches sur le carreau de la halle) suscite des sentiments ambivalents : de la pitié pour celui qui en est réduit à voler sa pitance, mais aussi de la peur sociale. A. Farge a choisi de retrouver le théâtre du vol d’aliments dans le Paris des Lumières ; un théâtre dont les personnages (voleurs, volés et témoins, juges et policiers) nous transmettent leur rôle à travers le prisme déformant du moule judiciaire.
[...]
Avec l’histoire du vol d’aliments au XVIIIe siècle, le livre de A. Farge apporte une belle contribution à l’étude des classes populaires parisiennes. La montée de ce type de délit à la fin du siècle, traduit le climat d’exaspération sociale, de disponibilité au geste délictuel qui touche une frange importante de la société française ; les marginaux sont dans la cité et ils veulent vivre. »
(André Zysberg, Annales. Economies, sociétés, civilisations. 31ᵉannée, 1976. pp. 175-176)

La rencontre avec P. Ariès

Dans un entretien avec Laurent Vidal sur son parcours paru en 2002, dans la revue Genèses, Arlette Farge rappelle l’enjeu que fut la "rencontre déterminante" avec P. Ariès à l’occasion de la publication du livre issu de sa thèse Le vol d’aliments à Paris au XVIIIe siècle , dans la collection « Civilisations et mentalités » que l’historien co-dirige avec Robert Mandrou :
« Oui et pourtant je ne mesure pas encore lors de notre première rencontre la chance qui sera la mienne. Ph. Ariès est directeur de collection chez Plon. Il a pour réputation de ne jamais hésiter à aller chercher des ouvrages assez originaux. C’est quand même lui qui a publié l’Histoire de la folie de Michel Foucault alors que son manuscrit avait été refusé par plusieurs maisons d’éditions. Quand au Vol d’aliments, il se trouve que c’est une thèse originale, qui ouvre des sources entièrement nouvelles pour les historiens, et qui peint aussi une vie urbaine qui n’avait pas encore été travaillée sous cette forme. C’est après la publication qu’une amitié est née entre nous. Je ne le voyais pas très souvent mais c’était quelqu’un de très fidèle. J’ai appris beaucoup de la lecture de ses travaux, mais aussi grâce à sa personnalité : c’était quelqu’un qui était à la fois hors du milieu et dans le milieu, un autodidacte, absolument pas préoccupé par sa carrière, avec qui j’ai appris la modestie. Je garde donc un excellent souvenir de lui. Plus tard, je ferai même partie avec lui de l’équipe qui travaillera sur Histoire de la vie privée. C’est pourquoi je partage aussi d’excellents souvenirs avec lui, lors de colloques à Berlin ou à Paris, qu’il animait avec beaucoup de simplicité et où il faisait preuve d’une grande ouverture d’esprit. » (Entretien avec Laurent Vidal, "Arlette Farge, le parcours d’une historienne", Genèses, 2002, p. 115.).

A.Farge dialogue avec Foucault sur Ariès

Dans un entretien passionnant, le 21 février 1984, dans le Matin de Paris, avec Michel Foucault, “Le style de l’histoire”, Arlette Farge revient sur l’importance de l’héritage Ariès dans l’historiographie :
« L’apport d’Ariès, c’est celui du sensible, faire une histoire des sensibilités, c’était extrêmement subversif. Ariès s’opposait ainsi à un inconscient collectif et, en même temps, avec Robert Mandrou et après l’ouverture demandée par Lucien Febvre, il faisait découvrir tout ce qui relevait du quotidien. Et vous avez eu un apport comparable : la même rupture dans la méthode, d’abord. Je pense à Surveiller et Punir : vous travaillez à la fois sur les déplacements
institutionnels et sur le regard porté sur les institutions. La démarche était aussi subversive
. »

Instants de vie

- Dans Instants de vie (Editions EHESS, 2021), Clémentine Vidal-Naquet a notamment rassemblé cinq entretiens d’Arlette Farge avec Perrine Kervran sur “France Culture” en 2013 et avec Laure Adler en 2016 et Patrick Boucheron en 2018, toujours sur “France Culture”.
 Dans l’introduction au volume intitulée “Une leçon d’attention”, Clémentine Vidal-Naquet qui a assisté au séminaire d’Arlette Farge à l’EHESS rappelle les rencontres fondamentales d’une vie (Roger Chartier, Michel Foucault, Pierre Laborie, Robert Mandrou, Michel Perrot, Jacques Rancière, Jacques Revel) et la méthode de l’historienne : « Attentive aux tableaux vivants qui se dégagent des archives, l’historienne traque les bruits, les couleurs, les paysages des rues parisiennes d’Ancien régime, elle pourchasse les paroles et les gestes de ceux qui y vivent. Elle rend de nouveau vivant un passé jamais immobile. »
 Animatrice des Lundis de l’histoire sur « France Culture », Arlette Farge a Le Goût de l’archive (1989) pour reprendre le titre de l’un de ses essais, et notamment des archives judicaires : « A leur matérialité, à leur dimension charnelle et aux émotions qu’elles suscitent. » (C. Vidal-Naquet, p. 9).
 Si de nombreuses pages de ces entretiens évoquent le rapport d’Arlette Farge aux archives, on peux citer ces quelques lignes : « Le rapport entre passé et présent est aussi tout ce qui fait que dans les événements qui se sont passés, on peut se reconnaître comme être humain, comme être sensible, comme être rebelle ou comme délinquant, infâme ou encore généreux, et n’être absolument pas dans les mêmes situations, ne pas connaître les mêmes contextes. Dès lors, quelque chose se dit d’une généalogie dont nous sommes issus, celle qui irrigue encore nos veines. Certes, je n’ai pas envie de ressusciter les morts. J’ai juste envie de dire, voilà, ils étaient là, il y a beaucoup d’années, et ils habitent encore en nous. » (p. 44-45).
 Arlette Farge a également publié, en 2019, aux éditions de la Découverte, Vies oubliées. Au cœur du XVIIIe siècle.

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