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Orest Ranum, l’ami américain

samedi 6 mars 2010, par Guillaume Gros

« Dès le début, écrit Philippe Ariès dans un Historien du dimanche, tout s’est passé comme si nous nous connaissions depuis de longues années. »

 Aujourd’hui professeur émérite à John Hopkins University, sise à Baltimore (Maryland), Orest Ranum a joué un rôle capital dans l’itinéraire de Philippe Ariès au même titre que Daniel Halévy, Louis Chevalier ou Michel Winock. C’est Orest Ranum qui, indirectement, permet à Philippe Ariès de mettre en forme ses recherches sur la mort.

 Alors que Philippe Ariès est reconnu aux Etats Unis comme un historien majeur après la traduction de l’Enfant et la vie familiale (Knopf, 1963), Orest Ranum, grand admirateur du Temps de l’histoire (Rocher, 1954), propose à l’historien français d’intervenir dans un cycle de conférence sur le thème « histoire et conscience nationale ». Alors absorbé par ses recherches sur la mort, Philippe Ariès accepte le principe de conférences sur les attitude devant la mort dans nos cultures chrétiennes occidentales.

 Après un an de préparation, l’historien français prononce, à Baltimore, ses conférences en anglais sans rien perdre de son éloquence naturelle : « The members of the faculty, students, and guests at Hopkins in April 1973 thus had opportunity to listen to this outsanding pioneer in the fields of social and cultural history and to discuss his conclusions with him after the lectures. » [1]
Orest Ranum, avec l’aide précieuse de son épouse Patricia, décident de publier en anglais ses quatre conférences sous le titre Western Attitudes toward Death : From the Middel Ages to the Present aux éditions Johns Hopkins University Press dont le contenu a été ensuite repris, au Seuil, l’année suivante, avec Les Essais sur l’histoire de la mort en occident.
L’historien américain a ensuite suscité et soutenu la candidature de Philippe Ariès au Wilson Center for Scholars (1976) où il put rédiger dans d’excellentes conditions l’Homme devant la mort.

 Sa passion pour l’histoire sociale de la France du 17e siècle a conduit Orest Ranum à s’installer dans un village du Rouergue, pas loin du Comte Adhémar de Panat qu’il avait fréquenté quand il rédigeait sa thèse sur les clientèles de Richelieu, une maison où le couple Ariès venait chaque été et dans laquelle fut rédigé l’Historien du dimanche.

Cet extrait de sa leçon au Collège de France (1994) donne un aperçu de la relation qu’entretenait Orest Ranum avec Philippe Ariès :

« Mais qu’est-ce que c’est que d’être américain ? Et pourquoi un Américain passe-t-il toute sa vie professionnelle à faire des recherches et à réfléchir sur l’histoire de la France ? Ariès manifestait souvent un certain agacement quand je lui disais que je ne faisais aucun cas de la réception de mes travaux en France. Je répondais que la culture politique américaine avait réellement besoin d’une historiographie de la France d’Ancien régime la plus analytique et la plus érudite possible. Cette réponse le laissait toujours interdit. Il voulait, bien entendu, que je participe à la démolition de ces historiographies déterministes qui étaient à la mode en France ; mais plus tard, tout à fait à la fin de sa vie, il a constaté que celles-ci s’étaient effondrées toutes seules – une grande leçon, pour l’auteur du Temps de l’histoire . » [2].

Les lettres d’Orest Ranum à Philippe Ariès (1973-1984)

A la fois correspondance professionnelle et personnelle (une soixante de lettres), cette correspondance érudite nous renseigne indirectement sur les centres d’intérêt de Philippe Ariès. Elle nous offre le point de vue extérieur et souvent ironique d’Orest Ranum sur les Nouveaux historiens. Enfin, la religion occupe une place non négligeable dans ces lettres qui deviennent de plus en plus personnelles quand Philippe Ariès est confronté au début des années 80 à la maladie de Primerose, son épouse, que le couple Ranum a très bien connu [Correspondance disponible au Caran].

Portfolio


[1Préface de Western Attitudes toward Death, septembre 1973.

[2La France des années 1650 ; histoire et historiographies, texte de la leçon inaugurale d’Orest Ranum, Collège de France, 1995, pp. 5-6